Pour compléter cette « Cartographie des futurs, » j’ai rencontré Laurent Alexandre. Chirurgien, énarque, entrepreneur, business angel, le fondateur de Doctissimo.fr dirige aujourd’hui DNAVision (une société de séquençage de l’ADN).
Aux prémices de l’intelligence artificielle, nous avons voulu avoir son avis sur les enjeux, présents et futurs, pour l’intelligence humaine.
Interview express
Le Q.I. – une des mesures de l’intelligence – est un sujet d’actualité, est-ce un nouvel enjeu ou a-t-il un historique ?
C’est un sujet politique par excellence et ce, quelle que soit l’idéologie.
Prenons l’exemple de l’Allemagne du IIIe Reich : les tests de quotient intellectuel (QI) y étaient quasiment interdits. La raison ? les dirigeants hitlériens craignaient que les juifs ne se servent de bons résultats aux tests pour accroître leur pouvoir et légitimer leur influence. Staline bloqua pour sa part les travaux d’Alexander Luria sur les capacités intellectuelles pour éviter que les « bourgeois » s’en servent comme outil politique.
Le sujet a aussi beaucoup passionné les sociologues. Pierre Bourdieu, par exemple, dans un article intitulé « Le racisme de l’intelligence », expliqua qu’il fallait refuser la mesure de l’intelligence et bloquer les études sur l’origine des différences de capacités cognitives. Pour le sociologue, les résultats de ces études permettraient à la classe dominante de justifier ses privilèges du fait de ses meilleures capacités intellectuelles.
Quel rôle a le QI sur notre destin ?
Indéniablement important ! L’influence du QI sur la sécurité routière par exemple se révèle parlante : les hauts QI ont trois fois moins d’accidents mortels de la route que les bas QI ! Les travaux de la chercheuse Linda Gottfredson apportent une explication à ces chiffres : un haut QI est associé à de bons réflexes et à une bonne capacité d’anticipation des risques…
En revanche – et c’est ce que les psychologues ayant étudié le QI des Nazis jugés à Nuremberg nous ont appris – un haut QI n’est pas synonyme de bonté, compassion, ou altruisme.
Les premiers bébés « OGM » ont été fabriqués en Chine par He Jiankui. Pensez-vous que nous allons pouvoir modifier génétiquement le Q.I. des bébés ?
Il ne fait aucun doute que l’on va pouvoir, à terme, augmenter le QI des bébés par de telles manipulations, même si l’intelligence n’est pas que génétique (elle l’est entre 50 et 80 %), mais en manipulant notre ADN, nous allons modifier notre structure cognitive et nos capacités intellectuelles.
L’augmentation cérébrale ne va pas sans poser des questions géopolitiques et éthiques majeures. Une large partie des Chinois, d’après les sondages réalisés par Marianne Hurstel, souhaite augmenter le QI de leurs bébés grâce aux biotechnologies. Comment va réagir l’Occident ? Ma conviction – et non mon souhait – est que l’État encouragera et remboursera les technologies d’eugénisme intellectuel pour empêcher notre vassalisation par la Chine et pour éviter que les laissés-pour-compte du capitalisme de la connaissance ne fassent la révolution.
Dans le monde ultracomplexe que l’intelligence artificielle va induire, la démocratisation de l’intelligence biologique ne sera pas une option.